OXYMORON
NICK ERVINCK - GNI-RI may2021
15/05/2021 > 25/09/2021
NICK ERVINCK
Nick Ervinck (°1981) est un artiste belge qui vit et travaille à Lichtervelde (Flandre occidentale). Sa carrière prend naissance, dès l’enfance, dans une passion dévorante pour le jeu de blocs de construction Lego. Il ne suit jamais les plans proposés mais crée, construit et imagine inlassablement ses propres œuvres architecturales. Il entre en contact avec le monde de l’informatique à l’âge de treize ans, lorsque ses parents achètent leur premier ordinateur. Cet événement marque le début de ce qui chez Nick Ervinck est une véritable symbiose (une association durable et réciproquement profitable) entre les mondes de la technologie et de la création, entre les sciences et les arts.
À quinze ans il entame des études artistiques qu’il complète par une maîtrise en Mixed Media obtenue en 2003 à l’Académie Royale des Beaux-Arts de Gand (KASK). Plus que des savoir-faire, il en retirera surtout un savoir-être : apprendre à regarder et à réfléchir, à sortir des sentiers battus et à formuler sa pensée. Plus tard cela le conduira à créer son langage personnel et unique en développant et associant des techniques très diverses (de la modélisation sur ordinateur à la chimie des polymères en passant par l’architecture). Un langage qu’il enrichit et remet en question de façon permanente.
Son travail est rapidement et plusieurs fois récompensé par des prix : le Prix Godecharle (2005), le Fortis Young Ones Award (2006), le Prix provincial des Arts visuels de Flandre occidentale (2006) et le Prix du Rodenbachfonds (2008). Le dernier en date est le prestigieux Prix des arts 2020 de l’Académie Royale flamande de Belgique pour les Sciences et les Arts.
En 2009 il acquiert un ancien garage Renault à Lichtervelde, il y installe son atelier, ses bureaux, un espace d’exposition et son lieu de vie. De là il gère une œuvre dont la renommée est depuis longtemps devenue internationale, couvrant de nombreux pays européens et asiatiques.
Ce qui émane de Nick Ervinck est une incroyable énergie, une volonté sans faille, une boulimie de travail et une vision extrêmement claire.
SON ŒUVRE
Même s’il réalise de nombreuses œuvres en deux dimensions - des photographies modélisées sur ordinateur, des dessins, des aquarelles et même des films – Nick Ervinck est avant tout un sculpteur. Sa vision, son intérêt, est toujours en 3 dimensions. Ce qui l’intéresse, c’est de développer un langage nouveau en travaillant des compétences et des techniques diverses, qu’il combine dans l’œuvre finale ou qu’il fait dialoguer dans des étapes successives. Le démarrage consiste généralement à concevoir le dessin (design) de son œuvre avec l’aide de techniques de modélisation sur ordinateur. Il utilise ensuite les techniques d’impression en 3D et la chimie des polymères pour mettre la sculpture en forme. À l’inverse de la sculpture traditionnelle, la matière n’est pas creusée mais constituée. Finalement, il enrichit son œuvre d’une finition artisanale manuelle requérant patience et méticulosité (par exemple pour le ponçage et le laquage). Ses œuvres sont souvent le fruit de plusieurs années de travail, durant lesquelles un va-et-vient entre le digital et le physique se répondent et s’enrichissent mutuellement.
Dans son travail on retrouve les influences d’Henry Moore (dont le concept de vide considéré comme volume négatif le fascine), Hans Arp, Barbara Hepworth et Greg Lynn (pour sa Blob-architecture) et deux passions-obsessions : les livres d’art (en particulier les monographies sur Henry Moore) et le jaune RAL1003, « son » jaune, quasi omniprésent.
Au départ son travail est intimement lié à l’architecture, par la dimension monumentale de ses sculptures et par leur interaction avec l’environnement auquel elles s’intègrent ou font écho. Déjà des mondes contradictoires s’affrontent : la rondeur et la fluidité de ses formes organiques font face aux lignes droites et à la structure du monde architectural. Il s’intéresse ensuite au corps, à l’histoire, au darwinisme et aux phénomènes de mutation, pour ne citer que quelques-uns de ses thèmes de prédilection. L’univers de Nick Ervinck, dont on ne peut conclure s’il est figuratif ou non, est incroyablement vaste et nous entraîne dans une oscillation permanente entre réalité et fiction, vivant et inanimé, gigantesque et infiniment petit : d’un crâne ou un utérus humain à une protéine, d’un squelette de dinosaure à un robot humanoïde, une racine devenu lampe, une éclaboussure figée en monument… On en aurait presque le tournis.
De cette confrontation d’univers contraires, naît une tension, une incertitude et dès lors un questionnement. La réalité n’est pas ce qui semble être représenté. Inversement, ce qu’on voit n’a pas forcément de réalité. Réalité virtuelle ou virtualité réalisée ?
OXYMORON
L’oxymore - figure de style qui allie deux mots de sens apparemment contradictoires - résume et qualifie l’un des aspects les plus originaux de l’œuvre de Nick Ervinck, de même qu’il caractérise le monde dans lequel nous vivons.
Au travers d’une trentaine d’œuvres en céramique, exposées pour la première fois, Nick Ervinck nous emmène dans un univers de contraires et de contrastes, à la frontière entre le figuratif et l’abstrait. Ses œuvres suscitent le doute et l’interrogation, provoquent une certaine tension, voire un léger malaise. Impossible en effet de déterminer de façon définitive ce que l’on voit. Croyez-vous voir une forme organique ou minérale ? Végétale ou animale? Une fleur en pleine éclosion ou un fruit en putréfaction ? C’est d’autant plus incertain que c’est éminemment changeant. Vous voyez une chose et l’instant d’après vous en voyez une autre : le tentacule d’un poulpe ou la main d’un mutant monstrueux, un corail mort ou le travail d’érosion d’un rocher de Gongshi, un poivron, une tomate ou un chewing-gum ? Observé au microscope dans son évolution naturelle ou imaginé dans ses mutations futures les plus effrayantes? Parfois on aurait littéralement envie de manger ce qu’on voit (et qui ressemble à une appétissante crème fouettée) pour le recracher aussi vite car on se rappellerait soudain que ce n’est qu’un leurre chimique. Nick Ervinck joue et s’amuse avec la confusion. On oscille entre émerveillement et malaise, entre désir et répulsion.
Nick Ervinck souhaite que le visiteur puisse d’abord observer les œuvres selon différents angles de vue, laisser libre cours à son imagination et ainsi interpréter sa propre histoire. En réalité chacune des sculptures de Nick Ervinck aborde des sujets qui le passionnent et l’interpellent : le devenir de la planète, son évolution, la manipulation génétique et l’évolution de l’industrie alimentaire, mais aussi l’évolution de notre culture et les grandes tendances telles que l’hyperconnectivité et la mise en péril de notre vie privée. Autant de domaines dans lesquels notre société oscille entre des tendances contraires. Capable du meilleur et du pire, l’être humain invente le poison et son antidote, il défend une idée et son contraire : il vante les mérites de l’alimentation bio mais développe de la viande synthétique ; il exalte la liberté individuelle mais développe des moyens de contrôle sur les mouvements, les données de santé, les habitudes de consommation de ses pairs, il défend la liberté d’expression autant que le politiquement correct, la majorité démocratique autant que le droit des minorités. Nous vivons dans un monde pétri de contradictions, ce qui, avouons-le, fait partie de son charme.
Sans prendre position (Mais n’est-ce pas le rôle de l’artiste de soulever les bonnes questions plutôt que de chercher à y répondre ?) Nick Ervinck nous rappelle que rien n’est certain, rien n’est acquis. Nous surfons sur la crête de la vague, dans un équilibre instable entre perspectives dramatiques et espoirs scientifiques. À tout moment nous pouvons basculer d’un côté ou de l’autre, en fonction des choix que nous posons. Les contours de l’avenir se dessinent aujourd’hui.
Nick Ervinck a récemment redécouvert la céramique qu’il avait apprise à l’adolescence. Fidèle à l’essence même de son langage artistique, il fait aujourd’hui dialoguer les techniques ancestrales du travail manuel de l’argile et de l’émaillage avec les techniques digitales contemporaines de modélisation par ordinateur ou de scannage en 3D. Une céramique d’abord exécutée à la main peut en effet ensuite être scannée et retravaillée sur ordinateur, faisant ainsi l’objet d’un processus d’enrichissement perpétuel. Cette fois cependant, et c’est une évolution importante pour Nick Ervinck : une part du résultat final lui échappe. La cuisson de l’émail génère craquelures, bulles et variations de couleur en grande partie non maîtrisables. « Ces imperfections sont de la pure poésie », précise Nick Ervinck. Cette poésie supplémentaire, cadeau de l’émaillage, contribue pour une grande part à la dimension émotionnelle et sensorielle des œuvres en céramique de Nick Ervinck.